Nous sommes architectes et nous avons toujours vécu, étudié et conçu la métropole. Alors qu'elle semble être la destination manifeste de l'humanité, nous ne nous y projetons pas. Pendant 9 mois, nous avons mené une étude itinérante à vélo pour sortir de cette situation par défaut.

Cette exposition en devenir raconte la rencontre avec des territoires que nous connaissons peu ; avec 18 personnes ou groupe de personnes qui nous inspirent ; et avec un courant : le biorégionalisme.

Nous en rendons compte par le biais d'une cartographie, de dessins, de photographies et de conversations fictives, reconstituées à partir d'entretiens - eux bien réels - menés pendant le voyage et de lectures.

Retrouver ci-dessous un avant-goût de l'exposition, ou explorez:

Bonne visite !
Jeanne Vincent et Théo Mondot

Nous sommes né·es urbain·es

A. L'hégémonie métropolitaine

" Les théories traditionnelles du développement conçoivent la métropole contemporaine comme la forme ultime et accomplie de l'établissement humain. "

Alberto Magnaghi, Le projet local, 2003 [1ère éd. 2002].

Si les villes sont souvent considérées comme vectrices de prosperité et d'efficacité, leur version exacerbée - les métropoles - peuvent être contre-productives. Face à une raréfaction énergétique et matérielle annoncée, le dérèglement climatique et l'effondrement du vivant, les métropoles semblent constituer les établissements les plus prédateurs et en retour les plus sensibles aux instabilités. Elles démontrent également leur incapacité à proposer des prises de décision partagées. Enfin, en y résidant, nous nous sentons hors-sols, déconnecté·es des conséquences de nos actes et sans attache symbolique pour ce territoire.

Les visiteur·euses découvriront ici trois limites majeures que nous trouvons au projet métropolitain.

Alberto Magnaghi
Alberto Magnaghi

"Nous vivons ainsi le temps des grandes villes. Délibérément, le monde a été amputé de ce qui fait sa permanence : la nature, la mer, la colline, la méditation des soirs."

Albert Camus, L’exil d’Hélène, in L’été, 1954. Cité par Guillaume Faburel dans Pour en finir avec les grandes villes, 2020.

A.1 - Hors-sols

" Il y a des humains hors sols qui habitent depuis des dizaines d’années à un endroit et ne le connaissent pas. Aujourd’hui tu peux t’approvisionner de tout, de n’importe où. Il n’y a plus la même nécessité de connaître sa région."

Igor Janoy, entretien du 10 avril 2024.

" La France des petites villes (moins de 10 000 habitants), des bourgs et villages n’est pas homogène ; dans certaines régions, elle périclite et dans d’autres, elle accueille une nouvelle population. Mais, car il y a un « mais », ces nouveaux résidents ne travaillent pas sur place et n’y consomment guère, pas plus qu’ils ne s’engagent sur le territoire. Ils semblent indifférents au lieu, certains semblent là par défaut. "

Thierry Paquot, Mesure et démesure des villes, 2020.

" Peu importe où on est né : il n'y a pas d'autochtonie qui tienne quand on passe son temps hors-sol. "

Mathias Rollot dans Mathias Rollot,
Marin Schaffner, Qu'est-ce qu'une biorégion ?, 2021.

A.2 - Limites démocratiques

"Comme l'a bien formulé l'anthropologue william Rathje, tandis que la taille d'une population double, son état de complexité – les informations échangées, les décisions requises, le contrôle nécessaire, les réajustements – quadruple."

Kirkpatrick Sale, L'Art d'habiter la Terre, 2020 [1ère éd. 1985].

"Dans la mesure où la vie de l'habitant est éclatée entre les sites spécifiques du travail, du loisir, de la consommation (ou encore de la santé ou des loisirs dans la nature), il ne dispose plus de "lieux" où habiter, où intégrer et socialiser ses diverses activités ; il cesse donc de s'identifier à son propre milieu […] la disparition de l'espace public entraine une perte progressive du pouvoir de la communauté locale sur la chose publique."

Alberto Magnaghi, Le projet local, 2003 [1ère éd. 2002].

"Silvia Grüning Iribarren, dans sa belle réflexion sur la « ville conviviale », considère que la ville est une institution qui propose, à tout citadin, des services ; or, lorsque cette ville devient trop grosse, trop peuplée, trop étendue, elle n’est plus en mesure de fournir ces services à chacun et devient alors «contre-productive». Les services publics sont abandonnés à des officines privées qui les transforment en marchandise, leur accès devient sélectif, et ce qui était initialement prévu pour tous se change en privilège réservé à une élite."

Thierry Paquot, Mesure et démesure des villes, 2020.

A.3 - Limites écologiques

"Il est indéniable qu'une ville d'un million de personnes, ou même d'un demi-milion a dépassé l'équilibre écologique auquel elle est capable de se maintenir grâce à ses propres ressources. [...] La grande ville contemporaine, en résumé, est un parasite écologique puisqu'elle extrait ses besoins vitaux ailleurs, et un pathogène écologique puisqu'elle y rejette ses déchets. "

Kirkpatrick Sale, L'Art d'habiter la Terre, 2020 [1ère éd. 1985].

"[...] les métropoles seront des nœuds de haute vulnérabilité si certains scénarios climatiques venaient à compliquer l’acheminement en eau et en électricité par exemple."

Agnès Signai, Réhabiter le monde, 2023.

B. Exode ?

Nous envisageons un exode, un exode urbain. Mais il est clair que, si elles peuvent être exacerbées en métropole, les failles que nous y trouvons ne sont pas résolues de fait en dehors de celles-ci, loin de là. Alors nous explorons la question, accompagné·es de nos rencontres et de nos lectures. Comment un territoire peut davantage soutenir son propre développement ? Par quels moyens ré-impliquer les habitant·es dans l'acte d'imaginer les établissements humains ? Enfin, quels intérêts à s'ancrer et à agir plus localement ?

Les visiteur·euses explorerons avec nous comment les espaces ruraux et les petites centralités peuvent constituer un terreau plus fertile pour l'avenir. Pour autant, doit-on abandonner la métropole ?

B.1 - Se lier à un lieu

" Il y a une aspiration à comprendre mon lieu de vie et mon environnement. Ce qui me permet de comprendre ici, c’est d’avoir compris d’autres endroits. "

Laura Baruch, entretien du 12 avril 2024.

" Nous organisons par exemple des randonnées sur le terrain pour observer les liens entre géographie et architecture. Sur site, en lisant l’architecture, d’un coup, tout se relie, tout est plus clair. Le sol, le paysage, l'architecture, tout prend sens. Et cela devient plus concret de parler de l’avenir de ce patrimoine, naturel comme bâti. "

Elisabeth Taudière, entretien du 02 mars 2024.

" Pour moi, le terrain est inspirant [...] . Le fait de le vivre au jour le jour est important d’un point de vue constructif, mais pas seulement. Le paysage varie de mois en mois, d'années en années, il évolue. "

Amélie Fontaine, entretien du 08 juillet 2024.

B.2 - Régénérer ce que l'on consomme

"L'urbanisme dont je parle, si tant est que l’on puisse encore utiliser ce terme, vise à régénérer les territoires ruraux et périurbains. Pour cette démarche, la part de l’aménagement demeure limitée. L’action se réduit parfois à un seul travail en creux : retirer des choses plutôt qu’en ajouter. C’est ce que j’appelle un travail de soustraction."

Simon Teyssou, entretien du 16 mars 2024.

"En travaillant sur les filières, on plante du potentiel pour plus tard. En terme de savoir faire, de ressources, les questions à se poser sont : Qu’est-ce qu’on a encore ? Qu’est-ce qu’on n’a plus ? Qu’est-ce qu’on pourrait avoir ?"

Simon Billaut, entretien du 24 octobre 2023.

"Dans le monde naturel, on ne trouve habituellement pas l'autosuffisance au sein d'une espèce ou d'une petite communauté […] mais au niveau de l'écosystème, l’autosuffisance est la norme."

Kirkpatrick Sale, L'Art d'habiter la Terre, 2020 [1ère éd. 1985].

B.3 - Redistribuer les pouvoirs

"Ici sur le plateau de Millevaches, il y a peu de services publics. Mais des espaces collectifs se montent, et tentent de compenser ces manques. Ça fait des lieux qui naissent d’un besoin, contrairement à certains projets publics qui existent à cause d'une subvention et qui serviront une fois par an."

Marion Dubreuil, entretien du 3 avril 2024.

" La petite échelle permet de retravailler sur la confiance, le dialogue et la démocratie. Aujourd’hui le mandat de maire est le plus complexe, le plus dur et le plus beau. "

Sophie Ricard, entretien du 16 mai 2024.

"Il y a beaucoup de projets vertueux dans les communes. On voit que quand on ramène les projets à cette échelle, ça aboutit à des résultats justes et adaptés. Cet échelon par le bas plutôt que par le haut est juste et attendu en Bretagne, dans une logique de décentralisation."

Olivier Hélary, entretien du 27 mai 2024.

B.4 - Quitter les métropoles ?

"Je trouverai ça affreux de dire que les métropoles n’ont pas leur place. Pour moi, tout existant devrait avoir sa place. On n'est pas là pour tout raser, on a assez connu les erreurs du modernisme [...]. Il faut les prendre comme des états de fait existants. Je ne crois pas à la solution moyenne idéale. Il faut inventer une multiplicité de modèles et partir de ce qu’on a pour améliorer les situations existantes. Les métropoles font partie de l’existant."

Mélusine Pagnier, entretien du 1er juillet 2024.

"Il ne semble pas y avoir d'autre option que celle consistant à diviser les métropoles actuelles de plusieurs millions d'habitants en villes plus petites, chacune avec une ceinture verte environnante, et en les réorganisant en communauté de tailles différentes dans la région environnante."

Kirkpatrick Sale, L'Art d'habiter la Terre, 2020 [1ère éd. 1985].

"Un territoire rural ne va pas sans un territoire urbain et vice versa. La vision qui pousse à séparer les deux est d’ailleurs clivante et erronée de mon point de vue. Cela traduit le fait qu’il y a une relation d’équilibre et de réciprocité à reconstruire aujourd’hui. [...] Cette notion de complémentarité engendre aussi une vision partagée centrée autour de la migration, avec le fait d’accepter qu’on soit urbain et rural."

Pierre Janin, entretien du 3 décembre 2023.

"De fait, il y a fort à parier qu’une taille un peu plus humaine des groupements humains nous permettrait de lutter un peu plus efficacement contre le déclin du vivant, grâce par exemple à des modes de vie autosuffisants fondés sur une agriculture moins motorisée, sans chimie de synthèse et respectueuse des cycles de la nature."

Guillaume Faburel, Pour en finir avec les grandes villes : manifeste
pour une société écologique post-urbaine, 2020.

B.5 - Réoccuper le rural

" Ce serait bien de retrouver une densité qui nous permet d’avoir une vie sociale sans prendre la voiture. j'ai l'impression que le maillage existe. La Corrèze est le département avec le plus de routes par habitant. La répartition de la population avait l'air bien avant. Ce qu'on appelle aujourd'hui des hameaux, c'étaient des villages. "

Alphonse Armant, collectif Panache, entretien du 12 avril 2024.

" J’aimerai voir advenir un exode urbain, lequel viserait à réinvestir les petites centralités, les territoires périurbains et ruraux en s’appuyant sur l’infrastructure ferroviaire extraordinaire dont nous disposons en France. "

Simon Teyssou, entretien du 16 mars 2024.

" Le centre Bourg résout pas mal de questions liées à la mobilité, il mutualise les réseaux. C'est plus écologique et plus résilient que l'habitat diffus. Aujourd’hui, il y a 600 habitants dans le centre-bourg de Saint-Antonin. Au XIIe siècle, il y en avait 6000. "

Marc Girerd, Boro Boro, entretien du 8 mars 2024.

" Avec l’habitat léger, je vois une belle transition. C’est quelque chose qui permet de retrouver de la densité dans les fermes existantes tout en respectant le besoin d’intimité nourri par notre société individualiste. "

Igor Janody, entretien du 10 avril 2024.

C. L'espoir biorégional

Peut-être doit-on plutôt trouver de nouveaux équilibres entre urbain et rural. Penser à une autre échelle. C'est, entre autres, ce que propose de faire le courant du biorégionalisme.

Nous verrons ici comment l'essentiel des sujets abordés précédement se synthétise dans ce courant éco-anarchiste qui prône une autonomie des communautés à l'échelle de biorégions. L'occasion pour les visiteur·ices de s'initier à un mouvement qui pourrait bien les toucher.

C.1 - Biorégionalisme : définitions et éléments clés

"Ce que j’aime dans cette idée de Biorégionalisme, c’est l’utopie que ce courant me semble porter : Être capable de régénérer ce qu’on consomme en tant qu’être vivant, sans jamais invalider nos ressources. C'est ce qui nous sort de l'extractivisme."

Mélusine Pagnier, entretien du 1er juillet 2024.

"Le concept est à la fois très simples et très complexe : simple parce que évident ; complexe parce qu'il implique un changement d'attitude considérable."

Kirkpatrick Sale, L'Art d'habiter la Terre, 2020 [1ère éd. 1985].

"La question de l’échelle est au cœur du paradigme biorégional, et c’est sans doute la clé de rétablissement d’une partie des grands déséquilibres actuels. […] Tant que l’acte est déconnecté de ses conséquences, il n’affecte pas les individus."

Agnès Signai, Réhabiter le monde, 2023.

"Le biorégionalisme est juste une manière que peut avoir notre époque de nommer quelque chose qui en soit est assez évident. Je me retrouve complètement là dedans . Le biorégionalisme décrit l'aire préindustrielle, réactualisée avec le fait que aujourd’hui il y a d’autres réalités, d’autres logiques qui font autorité sur nos manières de vivre. On a besoin de le renommer et d'en redéfinir les contours, parce qu’il n’y a plus cette évidence."

Brunelle Dalbavie, entretien du 11 avril 2024.

Le bioregionalisme est une approche politique, culturelle et sociale qui prône l'autonomie des communautés à l'échelle des biorégions : une autonomie de subsistance (alimentation, énergie, construction, etc.) et une autonomie de gouvernance (autogestion, démocratie directe ascendante et décentralisée)

Cette autonomie - coopérative et non-autarcique - entend répondre aux multiples crises environnementales et sociales par un retour à une échelle appréhendable, afin de : rendre visible les impacts de nos comportements, et en retour permettre aux communautés de prendre des décisions en adéquation avec les réalités locales, avec l'agilité des petits groupements, conscients de leur milieu de vie et pleinement intégrés à celui-ci.

Les biorégions sont des aires aux contours flous définies en premier lieu par leurs systèmes écologiques (bassins versants, géologie, climat, faune et flore). Celles-ci doivent être assez larges pour supporter les processus écologiques nécessaires à la vie humaine et non humaine ; et assez petites pour que ses occupant·es la considèrent comme chez ell·eux.

Une tentative de définition, encore à compléter.

aparte - Courants et figures clés

C.2 - Réhabiter : passer à l'action

Finalement, à choisir entre urbain, rural, ou biorégion, la question est peut être mal posée. Il s'agit aussi et surtout de changer d'attitude vis à vis de ce qui nous entoure. Avant un changement d'environnement, le biorégionalisme est un changement de système de valeurs.

Nous sommes toutes et tous né·es urbain·es. Réhabiter, c'est sortir du schéma de pensée du tout urbain. Nous invitons chacun·es à devenir réhabitant·es.

"Vivre in situ signifie suivre les nécessités et les plaisirs de la vie telles qu’elles se présentent de façon singulière en un lieu particulier, et développer des moyens d’assurer une occupation durable de ce lieu."

Peter Berg & Raymond Dasmann, « Reinhabiting California »
dans The Ecologist(vol.7, n°10), 1977.

" Là ou je me sens le plus à l’aise avec l’idée de bioregion c’est quand on met les mains dans le cambouis et qu’on est dans l’action localement. "

Simon Teyssou, entretien du 16 mars 2024.

“La question n'est pas de savoir combien de temps vous allez rester là où vous êtes, ou si vous vous apprêter à en partir – tout au long de votre vie, ce sera la même histoire : le lieu dans lequel vous vivez est vivant, et vous faites partie de sa vie. Quelles sont alors vos obligations à son sujet, quelle est votre responsabilité vis-à-vis du fait que ce lieu vous accueille et vous nourrit ? Qu'est ce que vous allez faire concrètement pour lui rendre la pareille ?”

Peter Berg, 1986, cité dans Mathias Rollot et Marin Schaffner, Qu'est-ce qu'une biorégion ?, 2021.

"Hypothèse de base du biorégionalisme : il ne faut rien attendre des dirigeants, la solution ne peut venir que des gens eux-même, car on ne peut pas faire d'écologie contre les gens."

Mathias Rollot, Qu'est-ce qu'une biorégion ?, 2021.